Ça y est, elle a été votée au conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités le 10 décembre après avoir fait l’objet d’annonces depuis mi-novembre (cf. communiqué de presse) : la ligne Y est la solution aux problèmes irrésolubles du RER C, dont la ponctualité, désormais proche de 90 % en zone centrale, peine à dépasser les 85% sur les branches les plus périphériques, notamment au sud de Juvisy.
Vous allez voir ce que vous allez voir, la ligne Y va permettre d’avoir des trains plus rapides entre Dourdan, Étampes, Brétigny, Juvisy et Paris… terminus en gare d’Austerlitz surface ! En ne faisant plus traverser ces missions lointaines, la ponctualité des branches Dourdan et Étampes pourra remonter à 90%, car les trains Y circuleront sur voies centrales alors que les RER C circuleront sur voies bis. Et en plus, une nouvelle commande de trains à deux niveaux va être lancée avec une tranche ferme de 55 trains pour la ligne Y livrés d’ici 2032, et, si le tunnel entre Invalides et Paris-Austerlitz est mis au gabarit, les 155 trains restant seront commandés par tranches optionnelles.
Nous allons faire toute la lumière sur ce que la ligne Y va changer pour les usagers du RER C en Essonne : changement des temps de trajet, fiabilité de l’exploitation, transition par rapport à la situation actuelle, au-delà du rêve que l’autorité organisatrice vend après près de deux ans d’atermoiements.
La ligne Y vendue par Île-de-France Mobilités
Île-de-France Mobilités vend du rêve en présentant un état final recherché qui sera sans doute celui du RER C et de la ligne Y après 2040 : des trains quasi-directs reliant Brétigny à BFM en moins de 20 mn, une correspondance quai à quai garantie en gare de BFM, terminus en gare de Paris-Austerlitz surface. Tout en annonçant que la ligne Y sera en place en 2032.
L’idée de l’autorité organisatrice réside dans le recyclage d’une part de ce qui est prévu depuis belle lurette dans les schémas directeurs successifs du RER C (au moins aux heures de pointe), d’autre part du rebranding très réussi de la ligne V, petit tronçon de navette laissé par la mise en service du T12 qui est rapidement devenue la meilleure ligne du réseau de banlieue en termes de ponctualité.
Pour réaliser cette ligne Y, il faut pouvoir retourner pendant toute la pointe deux missions (donc jusqu’à 8 trains par heure) en gare d’Austerlitz surface. Actuellement, c’est tout juste si 4 trains par heure peuvent y être retournés, notamment l’été pendant les travaux CASTOR.
L’augmentation de capacité est prévue entre 2027 et 2030 avec la restitution de quais en gare et des travaux d’augmentation de capacité en avant-gare. Mais c’est l’ajout d’une communication en gare d’Avenue-Henri-Martin pour retourner les trains vers le Nord qui permettra de baisser à 4 puis 3 le nombre de missions traversant Paris dès le début des années 2030.
L’objectif de 2032 est donc réaliste du point de vue de l’évolution de l’infrastructure dans Paris.
Matériel roulant
Île-de-France Mobilités s’est retrouvée dans une impasse avec le projet Z2N-NG. Transilien, qui va conserver l’exploitation du RER C jusqu’en 2039 au moins, ne veut pas exploiter le RER C et la ligne Y avec des matériels différents, car y voit source de complexité malvenue. Mais surtout, l’État refuse de contribuer au surcoût de quelques centaines de millions d’euros pour dégager le gabarit du tunnel parisien. En particulier, l’effet de la ligne 15 sur le remplissage des trains dans le tunnel parisien est difficile à anticiper.
Face à cette impasse, et devant la nécessité de trouver une solution de moyen terme pour une ligne dont les performances vont souffrir avec un matériel vieillissant, Île-de-France Mobilités a fait un choix somme toute imparable : lancer dès début 2026 la commande d’un matériel roulant à deux étages “sur étagère” (ou presque) à travers un appel d’offre. L’astuce : la tranche ferme prévoit 55 rames pour la ligne Y et des tranches optionnelles prévoient le complément pour le reste du RER C, soit a priori 155 rames. Si le tunnel central est mis au gabarit, les tranches optionnelles seront affermies, sinon un autre matériel roulant à un seul niveau sera commandé pour assurer les missions traversantes.
Cet apport de matériel neuf bénéficiera indirectement à tout le RER C : les 55 nouvelles rames permettront de disposer vers le milieu des années 2030 d’assez de rames pour assurer la desserte-cible voire réformer les 10 à 20 Z 20500 les plus anciennes (mise en service entre 1988 et 1990). Cela pourrait permettre en particulier l’extension de la partie la plus dense de la pointe.
Mais il y a un hic : la spécification de la Z2N-NG était tiraillée entre le besoin de capacité d’emport assis pour les missions les plus éloignées et celui de capacité d’échange pour la zone dense, peu compatibles. A priori Île-de-France Mobilités va privilégier la première sur la seconde, autrement dit un matériel encore moins optimisé pour des échanges rapides. Au moins sera-t-il à plancher bas ce qui sera une bonne nouvelle pour la rapidité des échanges et pourrait compenser une largeur de portes constante voire légèrement décroissante.
Une transition qui interroge
L’état final annoncé par l’autorité organisatrice de la mobilité répond bien à nos attentes, à l’exception des communications directes entre les quais de la gare de surface et les quais de la gare souterraine situés presque à l’aplomb.
En revanche, plusieurs aspects de la transition méritent toute notre vigilance.
Desserte quasi-directe contre correspondance imposée…
Île-de-France Mobilités nous annonce des trains sans autre arrêt que Juvisy entre BFM et Brétigny pour les missions Dourdan et Étampes. Il nous avaient déjà annoncé une telle évolution il y a 5 ans, mais le besoin de garantir suffisamment d’arrêts notamment en pointe du matin à Épinay-sur-Orge (correspondance T12) et Savigny-sur-Orge (gare de banlieue parmi les plus fréquentées) pour les missions Dourdan en pointe du matin seulement, afin de garantir une desserte suffisante (8 à 12 trains par heure) pour ces deux gares.
En réunion avec les associations le 8 décembre, Île-de-France Mobilités nous a annoncé que ces arrêts continueront à être assurés par les missions Dourdan tant que la modernisation ferroviaire du val d’Orge n’aura pas été achevée, soit pas avant 2035. Cette modernisation est en particulier nécessaire pour prolonger à Brétigny les missions actuellement terminus ou origine Juvisy, et ainsi rajouter 4 trains par heure dans le val d’Orge, qui pourrait ainsi être desservi par jusqu’à 12 trains par heure contre 4 à 8 actuellement.
…à quelle proportion d’usagers ?
Autrement dit, le gain en temps de trajet apporté par la ligne Y sera limité à l’heure creuse, la suppression des arrêts entre Juvisy et Brétigny permettant de récupérer 7 à 10 mn. Aux heures de pointe, à desserte constante entre Paris et Brétigny la ligne Y aura un effet nul sur les temps de trajet voire légèrement les augmenter pour les du sud de Brétigny devant correspondre avec les RER C en gare de BFM ou Paris-Austerlitz.
La commodité des correspondances en gares de Bibliothèque et d’Austerlitz va donc être d’autant plus déterminante que la proportion d’usagers continuant leur trajet au-delà de la gare d’Austerlitz en empruntant ces trains fait l’objet d’un malentendu. Île-de-France Mobilités prétend que seulement 20% des usagers montant au sud de Brétigny continuent au-delà de Paris-Austerlitz. Or 35 à 40% des voyageurs arrivant à Paris dans les trains de la branche Étampes et 50 à 70% de ceux arrivant dans les trains de la branche Dourdan sont montés entre Brétigny et Juvisy et sont a priori plus enclins à poursuivre au-delà de Paris-Austerlitz. En pointe matinale, la proportion d’usagers poursuivant après la gare d’Austerlitz se situe plutôt à 30 ou 40% des usagers que 20%.
Effets plausibles sur la ponctualité
Île-de-France Mobilités annonce que ce débranchement va remonter à plus de 90% la ponctualité des branches Dourdan et Étampes, en moyenne sous 85% avec généralement de biens meilleurs résultats en intersaison qu’en hiver ou même en été. Cet objectif de ponctualité est réaliste, c’est déjà ce qui est observé l’été lors des coupures CASTOR.
La suppression de la convergence en pointe du soir entre voie 1S (RER C) et voie 1 à la sortie de BFM ne peut qu’avoir un effet positif sur la fiabilité de l’exploitation, mais la ligne Y restera soumise aux aléas des trains grandes lignes et des TER, qui devraient cependant devenir plus fiables avec le renouvellement de ce parc de trains.
En revanche, l’amélioration le matin dépendra des choix d’exploitation, avec un dilemme pour l’instant tu.
- La desserte de BFM voie 2 (dite C) garantira l’indépendance de circulation des trains Y par rapport aux RER C, mais leur long temps de stationnement pourrait analyser un trafic très dense sur voies centrales, et il sera très malaisé de rejoindre le RER C sur le quai AB ;
- La desserte de BFM voie 2bis (dite B) permettra une correspondance quai à quai avec le RER C, cependant la ponctualité pourrait nettement dépendre de ce qui se passe sur le RER C car voies 2bis et 2ter convergent en une seule voie pendant quelques hectomètres avant de se séparer à nouveau : la voie 2bis continue jusqu’aux quais de surface alors que la voie 2S s’enfonce dans le tunnel parisien.
Sans réalisation d’une communication supplémentaire reliant la voie 2bis à la voie 2 à la sortie de BFM, il ne pourra donc y avoir à la fois de correspondance quai-à-quai et d’indépendance des circulations entre ligne Y et RER C. Pas plus que si des trains semi-directs pour le val d’Orge sont également insérés sur voies centrales en pleine pointe.
Intermodalité à BFM et Paris-Austerlitz
Communications directes entre la surface et les quais souterrains
Nous l’avions demandé, les études menées par Gares et connexions ont confirmé la faisabilité d’une communication directe entre quai 14-15 en surface et quai souterrain impair. Cette communication répond au besoin entériné par l’autorité organisatrice de pouvoir commodément rejoindre un train garé en surface depuis le quai souterrain (départ de Paris vers le Sud) pour que les usagers puissent bénéficier d’une correspondance commode en pointe du soir du RER C vers un train Y.
Mais CIRCULE juge tout aussi indispensable un lien direct entre le quai 16-17 en surface et le quai pair en souterrain. Ces deux liens directs ont tout intérêt à être positionnés au niveau des heurtoir, afin de faciliter le passage d’un quai à l’autre.
Pont de la Salpêtrière
Par ailleurs, CIRCULE constate que la gare d’Austerlitz est la seule grande gare parisienne à ne pas disposer d’accès de plusieurs côtés bien distincts, et propose d’en ajouter un depuis le pont de la Salpêtrière, actuellement restreint au personnel de l’hôpital du fait des travaux. Ce nouvel accès permettrait de parachever l’intégration de la gare dans un tissu urbain dense en emplois, et faciliterait même une correspondance avec la ligne 6 en station Quai de la gare, restaurant un accès efficace aux grands nœuds de la Rive gauche parisienne que sont Denfert-Rochereau et Montparnasse.
Un tel accès permettrait également de rééquilibrer la charge dans les trains Y, car les usagers montant vers Paris sont trop fortement incités par la position des sorties et des correspondances à se placer en tête de train.
Bibliothèque François-Mitterrand
En revanche, la gare de BFM pose un énorme problème : il va falloir organiser une intermodalité performante entre les trains Y et les RER C, avec deux hauteurs de plancher différentes et une gare basse de plafond qui ne permettrait pas de rehausser les voies. C’est en tout cas ce que nous explique l’autorité organisatrice, alors que le passage à un profil aérien de contact permettrait sans doute de récupérer assez de hauteur pour s’épargner des travaux complexes.
La solution de facilité serait de faire arrêter la ligne Y sur les voies centrales, un quai peu utilisé qui pourrait être abaissé sans trop perturber la circulation des trains et la desserte de la gare. Les conséquences pour les usagers qui seront encore bien 30 à 40% à continuer au-delà de Paris-Austerlitz seront funestes sans les améliorations que nous demandons en gare d’Austerlitz.
En conclusion, nous attirons la vigilance des usagers et des élus sur les points suivants.
- La mise en cohérence des hauteurs de plancher des nouveaux trains avec les hauteurs de quais à BFM (pas forcément le quai central) doit autant que possible être faite par rehaussement des voies, quitte à remplacer les caténaires sur les quais RER C par des profils aériens de contact.
- Le maximum, et non le minimum, doit être fait en gare d’Austerlitz pour améliorer les correspondances entre les quais souterrains et les quais de surface. Nous demandons à ce que les deux quais souterrains aient leur communication directe avec la surface.
- La modernisation ferroviaire du val d’Orge doit être entièrement programmée, elle est d’intérêt national voire européen (couloir fret).
